Apprendre à ne plus dire non
En tant qu’expert (en accessibilité, en écoconception, etc), il est souvent tentant de répondre “non” à certaines idées et propositions. Ce n’est pas nécessairement la meilleure façon de faire, comme l’évoque cet article (en anglais) : https://buttondown.com/access-ability/archive/how-to-make-accessibility-stick/
Apprendre à ne plus dire “non”
L’article en question porte sur l’accessibilité et s’appuie sur les WCAG [EN] pour proposer des alternatives plus constructives via des exemples précis. En résumé, en tant qu’expert en accessibilité, il peut être tentant de dire “non”, notamment à certaines propositions de conception (carrousel, scroll infini, etc). Je vous laisse lire l’article en détail. Ici, nous allons surtout voir comment ces considérations s’appliquent à l’écoconception. Pour cela, nous utiliserons le RGESN.
Tout d’abord, il est important de souligner le fait que dire “non” court-circuite souvent les discussions et peut générer des blocages voire de l’animosité. Lorsque l’expert est sollicité en bout de chaîne (sur un service numérique déjà déployé voire sur des maquettes finalisées), les modifications peuvent apparaître trop coûteuses. Peut-être aussi que l’élément proposé n’est pas négociable pour certaines parties prenantes (business, communication, etc). Dans ces cas, le “non” n’est pas toujours entendable.
L’idée n’est pas de laisser faire n’importe quoi mais d’indiquer des possibilités pour rendre la proposition plus sobre et/ou efficiente voire de définir le cadre pour aboutir à une solution acceptable. Et de proposer de l’aide pour y parvenir.
Des exemples concrets
Le carrousel
Ce qu’on me proposait : quoi de mieux que des images qui défilent horizontalement pour attirer l’œil de l’internaute ?
Ce que je répondais : https://shouldiuseacarousel.com/ [EN] (et je proposais en complément d’intégrer plutôt une mosaïque d’images, avec un exemple ici : https://www.musba-bordeaux.fr/)
On sait que ce type de composant est souvent mauvais pour l’écoconception (et pour l’accessibilité voire plus généralement pour l’expérience utilisateur). Plutôt que refuser purement et simplement, mieux vaut définir le cadre avec quelques bonnes pratiques à respecter :
- Ne pas faire défiler automatiquement les contenus : 4.1 - Le service numérique comporte-t-il uniquement des animations, vidéos et sons dont la lecture automatique est désactivée ?
- N’inclure que des contenus porteurs d’information : 4.6 - Le service numérique utilise-t-il uniquement du contenu vidéo, audio et animé porteur d’informations ?
- Choisir le format de contenu le plus sobre en fonction de l’usage prévu : 4.7 - Le service numérique opte-t-il pour les choix les plus sobres entre le texte, l’image, l’audio ou la vidéo, selon les besoins utilisateurs ?
- Proposer des contenus correctement optimisés : quasiment tous les critères de la famille 5 - Contenus. Aussi, veiller à les envoyer aux bonnes dimensions : 6.4 - Le service numérique affiche-t-il majoritairement des images dont les dimensions d’origine correspondent aux dimensions du contexte d’affichage ?
- Mettre en cache tout ce qui peut l’être : 6.2 - Le service numérique utilise-t-il des mécanismes de mise en cache pour la totalité des contenus transférés dont il a le contrôle ?
- Ne pas précharger le composant ni ses contenus (notamment ceux qui ne sont pas encore affichés) : 6.5 - Le service numérique évite-t-il de déclencher le chargement de ressources et de contenus inutilisés pour chaque fonctionnalité ?
- Héberger les ressources statiques sur un même domaine : 6.7 - Le service numérique héberge-t-il toutes les ressources statiques transférées dont il est l’émetteur sur un même domaine ?
En complément, des astuces pour améliorer l’expérience utilisateur : https://www.smashingmagazine.com/2022/04/designing-better-carousel-ux [EN]
Dans le cas d’une simple animation, ce critère est essentiel à prendre en compte. En effet, au-delà de l’absence de déclenchement automatique, la durée de l’animation sera importante. Au-delà de 4 secondes, des mécanismes de contrôle doivent être mis en place. Pour plus d’informations à ce sujet :
- https://greenspector.com/analyse-des-surconsommations-dun-site-sobre/
- https://greenspector.com/reduire-poids-page-web-quels-elements-plus-impactants/
Le scroll infini
Ce qu’on me proposait : on a beaucoup d’éléments à mettre en avant, surtout qu’on en crée très souvent. Une liste infinie permettra d’avoir tout au même endroit.
Ce que je répondais : vous allez noyer l’utilisateur sous les infos et il n’ira pas au-delà des premiers.
Le scroll infini est partout sur les réseaux sociaux mais aussi souvent sur les sites d’actualités ou d’ecommerce. Attention à bien garder en tête ces critères :
- Le RGESN est plutôt clair à ce propos : 4.2 - Le service numérique affiche-t-il uniquement des contenus sans défilement infini ? Un bouton “Voir plus” peut par exemple permettre de valider ce critère. D’ailleurs, attention, le scroll infini peut être considéré comme un procédé manipulatoire : 4.14 - Le service numérique évite-t-il le recours à des procédés manipulatoires dans son interface utilisateur ?
- Attention à ne charger les éléments affichés qu’au fur et à mesure. 6.5 - Le service numérique évite-t-il de déclencher le chargement de ressources et de contenus inutilisés pour chaque fonctionnalité ?
En complément, il est important pour l’utilisateur de savoir comment sont choisis les éléments affichés, comment ils sont triés et filtrés. Et de pouvoir modifier cela si besoin.
La carte interactive
Ce qu’on me proposait : quitte à présenter des informations relatives à des lieux, autant permettre utiliser un composant prêt à l’emploi et interactif.
Ce que je répondais : ce n’est pas une bonne idée. Le plus souvent, d’ailleurs, je suis déjà sur le “oui, mais”. Je recommande d’éviter Google Maps (très lourd du point de vue des impacts environnementaux et périlleux vis-à-vis du RGPD et de l’accessibilité). A choisir, autant aller plutôt vers OpenStreetMap. Avec en plus, la recommandation d’avoir recours à une facade (afficher une image par défaut puis ne charger la carte qu’à l’interaction de l’utilisateur). https://developer.chrome.com/docs/lighthouse/performance/third-party-facades [EN] Ainsi, on vise déjà la validation du critère 6.5 - Le service numérique évite-t-il de déclencher le chargement de ressources et de contenus inutilisés pour chaque fonctionnalité ?
En plus de ces recommandations, il est possible ici de se référer au RGESN :
- Comparer les solutions existantes : 2.9 - Le service numérique a-t-il pris en compte les impacts environnementaux des composants d’interface prêts à l’emploi utilisés ? et 2.10 - Le service numérique a-t-il pris en compte les impacts environnementaux des services tiers utilisés lors de leur sélection ?
- Il est également essentiel que l’utilisateur garde le contrôle : 4.4 - Le service numérique permet-il à l’utilisateur de décider de l’activation d’un service tiers ?
- Nous prenons ici le critère 4.9 pour aller un peu plus loin : 4.9 - Le service numérique limite-t-il les requêtes serveur lors de la saisie utilisateur ? Attention en effet, aux requêtes pour suivre ce que fait l’utilisateur ou pour afficher/rafraîchir de nouveaux éléments de la carte.
- Ce peut également être l’occasion de lui faire prendre conscience du poids d’un tel composant : 4.12 - Le service numérique indique-t-il à l’utilisateur que l’utilisation d’une fonctionnalité a des impacts environnementaux importants ?
En complément, proposer une version accessible des informations proposées sur la carte, par exemple sous la forme d’une simple liste (si nécessaire avec la possibilité trier, filtrer ou rechercher). Si possible, la liste peut être proposer comme la vue par défaut. S’il n’y a que peu de lieux à présenter (comme parfois dans les pages présentant les moyens de contacter une entreprise), autant opter pour une simple adresse postale (voire une image permettant de localiser l’endroit).
Intelligence artificielle et ses dérivés/es
Ce qu’on me proposait : pour que l’internaute trouve plus facilement l’information, on va mettre en place un chat bot.
Ce que je répondais : les impacts environnementaux risquent d’être considérables.
Il y a une vingtaine d’années, les forums fleurissaient partout. Les fils de réseaux sociaux ont suivi. Les chat bots prennent aujourd’hui le relais et accélèrent de façon considérable. Si un tel composant doit être mis en place, le RGESN est là aussi une source précieuse d’informations :
- Si l’on considère le composant comme un service à part entière, autant commencer par le début : 1.1 - Le service numérique a-t-il été évalué favorablement en termes d’utilité en tenant compte de ses impacts environnementaux ?
- Pour le reste, on pourra suivre le même raisonnement que pour la carte interactive avec les critères 2.9, 2.10, 4.4, 4.9 et 4.12
Quelques principes pour alimenter la discussion
- Faire preuve de compréhension : il ne s’agit pas forcément de ce que vous voulez ou ne voulez pas en tant qu’expert. La priorité est d’accompagner le client pour que ce qu’il veut réponde au mieux aux critères d’écoconception
- Pointez vers des critères précis du RGESN et si besoin vers d’autres référentiels plus techniques (WSG [EN], GR491 ou RWEB)
- Proposez des alternatives qui ont fait leurs preuves, avec des exemples
- Si vous le pouvez, introduisez des critères d’écoconception pour la validation des composants
- Profitez de ces discussions pour sensibiliser à l’écoconception et aider vos interlocuteurs à avancer sur ce sujet
Conclusion
Plutôt que d’interdire, autant saisir cette opportunité pour ouvrir la discussion et faire progresser vos interlocuteurs sur le sujet de l’écoconception. Tout le monde en ressortira plus satisfait et en ayant appris quelque chose. En bonus, en tant qu’expert, vous passerez du râleur qui bloque tout le temps à celui qui aide tout le monde à avancer dans la bonne direction.