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DUKK (Logo © Studio Osmo)

Aujourd’hui, je vous propose donc de parler de solutionnisme technologique. Ce que c’est et en quoi ça s’oppose souvent au Numérique Responsable. Et ça tombe bien parce que c’est d’actualité.

Cliquez ici pour résoudre tous vos problèmes

La notion de solutionnisme technologique est très liée à Evgeny Morozov. Notamment à son ouvrage “Click here to save everything”. En résumé, c’est cette tendance qui mène à croire que le numérique peut résoudre tous nos problèmes. Il y a de nombreux soucis avec ce postulat.
Déjà, c’est faux.
On le voit avec certaines utilisations du machine learning (lire aussi Weapons of Math Destruction). Dans certains cas, celui-ci ne fait qu’exacerber les biais humains. On obtient alors des campagnes de recrutement où on se retrouve avec une majorité d’hommes blancs. Dans le cas d’outils utilisés par la police, on a recours au machine learning pour repérer les quartiers où il y a le plus de délits recensés et on y renforce les patrouilles. Bilan : on y recense encore plus de délits et ainsi de suite.
On le voit aussi au quotidien avec les applis mobiles. Mais si, vous savez, les applis de méditation, de cuisine et ainsi de suite. En gros, on installe une appli de méditation parce qu’on est stressé mais ce n’est pas pour autant qu’on l’utilisera ou qu’on sera moins stressé au final.
Si on pousse la logique un peu plus loin, on tombe sur les soucis avec la gamification. On trouve pléthore d’applis qui vont gamifier les gestes écolos. Sauf que si on vous donne 1 XP à chaque fois que vous jetez la bouteille dans la bonne poubelle, vous finissez par le faire pour l’XP (et le shot de dopamine qui va avec) plutôt que d’avoir du recul sur les enjeux. Pourtant, ce n’est qu’avec ce recul que vous pourrez durablement apporter des changements dans votre mode de vie. Et c’est pareil pour les applis de cuisine. Si vous avez la flemme de cuisiner, ça ne marchera pas.
Plus généralement, si vous voulez changer durablement et intelligemment, vous ne pouvez pas compter que sur une appli, il faut aussi que ça vienne de vous.

On a donc principalement deux soucis avec le solutionnisme technologique : les risques de dérives et le biais qui nous laisse penser que le numérique seul peut changer notre vie.

Et le numérique responsable dans tout ça?

Pour rappel, on peut définir le numérique responsable comme une approche du numérique dans le respect des humains. C’est vague mais c’est aussi parce que le périmètre est très large. Et quand on met cette notion en face du solutionnisme technologique, on voit qu’il y a souvent souci. On va voir ça point par point mais il y en a forcément plein d’autres.
Et on finira avec un exemple.
D’abord, forcément, il y a l’impact écologique du numérique. La multiplication des applis et leur utilisation lorsqu’elles ne sont pas nécessaires entrent directement en contradiction avec la sobriété numérique. Avez-vous besoin d’une appli pour savoir quand arroser vos plantes? Vous pensez peut-être que c’est le cas mais il y a d’autres solutions. Pour remettre en perspective, on se débrouillait très bien sans smartphone (voire sans Internet dans la plupart des cas) avant l’an 2000. Je ne dis pas qu’il faut oublier le web et les outils qu’il nous a apportés. Je dis juste qu’on arrivait très bien à arroser les plantes avant ça. La sobriété numérique, c’est aussi de réfléchir à se passer des outils numériques lorsqu’on en a pas vraiment besoin. Et de se rappeler que ce n’est pas parce qu’on peut faire quelque chose qu’on doit obligatoirement le faire. Non, il n’y a pas forcément besoin d’un chatbot sur votre site. Non, le machine learning n’est pas toujours indispensable (souvent, le bon sens suffit). Non, vous n’avez pas forcément besoin d’une appli mobile (ni même d’un site web).
Ensuite, il y a aussi le souci de l’inclusion. Il faut garder en mémoire que tout le monde n’a pas accès à un smartphone ET à une bonne connexion. La solution universelle n’est donc pas pour aujourd’hui et l’outil numérique ne doit pas être la seule possibilité pour accéder à un service ou à une information. Bien sûr, il faut aussi prendre en compte l’accessibilité et la performance (si on veut vraiment un outil utilisable par tous). Et je ne reviens (presque) pas sur le fait que nous aurons toujours un souci d’inclusion avec le numérique tant que celui-ci sera principalement conçu par un échantillon de la population qui n’est pas représentatif de l’ensemble (place des femmes dans le numérique mais pas seulement).
Il y a aussi le souci de la vie privée. La plupart des applis et outils sont gratuits mais rappelez-vous de ce que vous donnez en échange. Des infos sur votre santé, votre localisation, vos préférences diverses et variées… sans compter le partage de vos contacts et autres coordonnées. J’ai prévu un article sur le sujet dans le cadre des valeurs du développeur.
Pour ce qui est de la sécurité, je prendrai juste l’exemple des applis de vote.
Enfin, l’économie de l’attention est évidemment concernée dans la mesure où la plupart de ces applis, au-delà du simple fait qu’elles sont une raison de plus de passer du temps sur son smartphone, s’appuient sur la dopamine.

Allez, on prend un petit exemple d’actualité qui fait pas mal discuter en ce moment?

StopCovid

Pour ceux qui sont restés en confinement dans une grotte, l’appli StopCovid a pour but de lutter contre le Covid-19. Sauf que ce n’est pas sans soulever quelques questions (auxquelles la Quadrature du Net répond mieux que moi).
Et on arrive pile dans un magnifique cas de solutionnisme technologique.
L’idée est de faire du contact tracing pour repérer les personnes qui auraient été en contact avec d’autres personnes atteintes du Covid-19. Sauf que…

  • Seuls 77% des français ont accès à un smartphone connecté à Internet. On tombe à 44% pour les + de 65 ans. Sans certitude que les appareils puissent tous faire tourner l’appli et utiliser le Bluetooth.
  • Le Bluetooth lui-même présente des risques liés à la sécurité. Oups.
  • On risque de se retrouver avec beaucoup de faux-positifs (on sait si vous avez été à proximité d’un contaminé mais pas dans quelles conditions) et un effet placebo (j’ai l’appli, je suis tranquille, je peux lécher les barres de métro).
  • Malgré toutes les promesses, il reste la question de l’anonymat des données. Votre smartphone permet de vous identifier sans doute possible mais c’est aussi pareil pour votre numéro de téléphone et, en poussant un peu plus loin, l’historique de votre localisation.

Et ceci ne peut bien sûr pas fonctionner sans des dépistages massifs.
Bref, le numérique apporte ici une solution imparfaite (pour le moins) et risquée. Comme l’illustre l’exemple de l’appli lancée à Singapour.

Conclusion

La période de confinement nous a rappelé que le numérique pouvait jouer un rôle essentiel dans nos vies : pour garder le contact, travailler à distance, etc. Pour autant, nous devons garder en mémoire qu’il n’est pas une solution universelle.
Il serait illusoire d’espérer qu’il résolve tous nos problèmes (c’est comme les bonnes résolutions du 1er janvier).
Pour ceux qui créent des services numériques, la sobriété numérique et plus généralement le numérique responsable sont des garde-fous indispensables. Avant de vous lancer dans la création d’un site ou d’une appli, demandez-vous si c’est vraiment indispensable. Avant d’adopter une tendance du numérique (le machine learning, la réalité augmentée, les objets connectés, etc), vérifiez que vous en avez vraiment besoin et demandez-vous si les bénéfices espérés dépassent les coûts (financiers mais aussi environnementaux, sans compter la sécurité, l’accessibilité et le respect de la vie privée).
Ce n’est pas parce que vous pouvez le faire que vous devez le faire.